mardi 27 octobre 2015

Petit mode d'emploi à l'usage de ceux qui savent pas comment faire


Bon...
Assieds-toi, faut qu'on parle.
Oué, c'est encore à propos de ce truc, là...
D'habitude, j'en parle pas, mais là, j'en profite parce que pour quelques jours encore on est en octobre (rose), et parce que j'ai encore entendu samedi un truc qui m'a légèrement donné des boutons. Des gentils, hein, mais des boutons quand même.
Quand t'as eu un cancer, on a plusieurs façons de te regarder.

Il y a la version "ma pauvre", où l'on te demande comment tu vas en faisant une tête assez rigolote, qui oscille entre celle du basset et du chat Potté, limite condescendante, parce qu'on te projette dans une situation tellement horrible que même être embarquée sur un navire clandestin entre la Syrie et l'Europe serait un sort plus enviable. Dans cette version, en général, tu as beau passer un temps fou à expliquer qu'en fait ça gaze bien pour toi, que tu vis bien la chose et que blablablabla, que c'est fini, au moment de se dire au revoir, on te lance tout de même encore un "bon courage, hein, c'est un mauvais moment à passer" qui te laisse sans voix.
Il y a même eu cet épisode assez lunaire avec ce médecin anesthésiste :
 - Quelle est la nature de l'intervention que vous avez subie l'année dernière ?
- Une mastectomie
- Ah... Vous avez vécu une terrible épreuve, alors !
- Euh... Je ne l'ai pas vécue comme ça......

- Ah ben si, c'est une terrible épreuve, ça !
- Je dirais plutôt une grande aventure...
- Ah ben non, c'est vraiment une dure épreuve !
- Bon... ben si vous le dites...

Voilà. Quoi que tu dises, on s'en tape, on ne voit que ce que l'on veut voir.

Ensuite, il y a la version "Allez, va, t'es forte ! Pis ça se soigne bien maintenant !" qui fait que lorsqu'on te parle, tu as l'impression de t'être soudainement transformée en statistiques. En face de toi, on fait tout pour te rassurer sur ton sort (sans que tu n'aies rien demandé évidemment, et sans que l'on sache comment tu vis ta situation), on te sort des chiffres un peu au hasard (et tu le sais parce que TOI, t'as eu le temps de te les palucher, les chiffres), ou on te raconte la dernière émission sur le cancer du sein vue à la télé. Tu sembles alors avoir disparu et limite tu assistes à un cours magistral monologué qui te laisse somnolente. Tout de même, et bien que tu n'aies pas vraiment envie de t'apesantir sur ton sort, tu te demandes si ton interlocuteur/trice se rend compte qu'elle a une personne en face d'elle... Mais là encore, ce qu'elle voit et te dit n'est que ce qu'elle projette, ses peurs ou ses espoirs...

Et puis, il y a la version "je vais pas me plaindre, c'est rien à côté de ce que tu as toi". Et ça, c'est vraiment la version qui m'exaspère le plus.
Cette version-là est souvent utilisée par des personnes qui passent par un moment pas facile de leur vie et qui culpabilisent de te parler d'elles parce que toi, tu as eu UN CANCER... LA maladie. LE truc horrible qui tue. Limite c'est comme Voldemort, faut pas le citer de peur de l'attirer à soi et tellement son nom est terrible. Mais des cancers, dont du sein, il y en a autant que de personnes, et ça, c'est loin d'être dans les esprits.
Il y en a des méchants, il y en a de très très méchants, il y en a des mortels. Il y en a des sournois, des fulgurants. Et puis il y en a aussi qui sont tout petits, presque gentils.

Alors oui, j'ai eu un cancer, oui, j'ai un sein en moins, et non, ce n'est pas rigolo.
Non, se voir amputée d'un bout symbolique de sa féminité, c'est pas très facile. Oui, se faire irradier tous les jours pendant 5 semaines, c'est un peu relou. Sans parler du traitement arrêté parce que se transformer en Mr Hyde (ou minion violet, selon tes références cinématographiques) toutes les 30 mn sans raison apparente devient absolument insupportable pour soi et son entourage... Mais moi, j'en ai eu un "gentil".


Et là, je suis en train d'écrire. Et là, je ne suis plus malade. Le cancer a quitté mon corps en même temps que mon sein. Et je respire, je mange, je bisouille mes enfants, je me balade avec mon mari. En gros, je VIS. Et là où j'ai de la chance, c'est que
j'ai une vie "normale" avec des gens que j'aime. Je suis sur mes deux jambes, je marche, mes deux bras fonctionnent et mon cerveau aussi, et je n'ai mal nulle part hors vacances scolaires où je suis atteinte de céphalées régulières (je sais que tu me comprends si toi aussi tu passes tes vacances avec tes enfants).


Ce n'est pas le cas de certains, atteints de diabète ou autre maladie chronique incurable à gérer pour que leur vie soit la plus normale possible, et surtout, pour y rester, en vie. Et lorsque l'une d'elle me dit que tout de même, elle ne va pas se plaindre parce que quand même "ce n'est rien à côté de ce que tu as eu toi"... Eh bien je suis prise de démangeaisons.  T'es pas bien et t'as le droit de le dire, quoi que l'autre en face vive, quoi que tu penses de ce qu'il vit. Il n'est pas ici question de comparaison, d'étalage de p'tits ou de gros malheurs, car chaque bobo a son importance, chaque ressenti est légitime. Quelle que soit la personne que tu aies en face de toi, surtout si elle t'écoute avec son coeur. Et puis surtout, ce n'est pas parce que la maladie que j'ai eue s'appelle "cancer" que mon sort est "pire" que n'importe quel autre. Rappelle-toi, c'est fini, il est parti.


Enfin, il y a la dernière version, et c'est de loin celle que je préfère.

Que tu vives sur un nuage ou que tu sois en plein divorce, que tu essuies une 20ème crise de rhumatismes en 2 semaines ou que tu pètes la forme, quand tu me parles de toi en m'ouvrant ton coeur, en étant à ta place et en me laissant à la mienne, lorsque tu me donnes cette possibilité de t'écouter pleinement, alors je suis ravie. Oui, vraiment, ce que je préfère, c'est lorsque tu te considères aussi important-e que moi, même si moi j'ai eu un cancer. Parce que toi aussi, tu as une vie. Parce que toi aussi, tu as tes péripéties...

Et oui, j'aime que tu me regardes comme celle qui écrit, comme celle qui sourit, comme celle qui vit, que tu me regardes comme tu regarderais n'importe qui...

Parce que c'est ça, ce que je suis.

5 commentaires:

  1. alors toi t as toujours une façon de tourner tout ça... CTNORME.
    comme beaucoup j imagine, je me dis : "zut dans quelle catégorie de pignouf j ai été ?...". probablement toute... :-[. bon ben je vais faire comme toi, je m aime alors je me dis que je ferai mieux la prochaine fois ;-) (ouais bof jsuis d accord... ;-) ).

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. T'as été nickel, mon pelo ! Quelle que soit la version !!

      Supprimer