mercredi 6 avril 2016

Haine, je t'aime !



Moi qui croyais que la voiture était ZE lieu d'exacerbation de la violence chez le Cretinus Erectus, je me trompais. 

Ce matin, alors que je venais de me dresser comme un I sur la pédale de freins pour éviter à ma voiture de s'encastrer dans la camionnette qui venait de déboîter de la voie de gauche pour se faufiler dans la voie que j'utilisais, j'eus l'éclair de génie de klaxonner pour exprimer mon vif mécontentement à l'imprudent qui se glissait de la sorte. Blasphème ! Qu'avais-je donc fait ? Les voitures étant, la seconde d'après, toutes stoppées par un feu tricolore bien écarlate, le conducteur crut bon, à son tour, de montrer son mécontentement du fait que j'avais manifesté le mien (pfiou !) et sortit de sa voiture pour me hurler dessus, voire, j'eus cette impression une pico-seconde, pour venir me refriser le brushing à coups de baffes bien balancées (le fait d'avoir été une faible femme, et accompagnée d'un enfant qui plus est, m'a probablement sauvé l'arcade sourcilière et l'arête nasale, j'en suis consciente - le machisme peut avoir, de manière extrêmement exceptionnelle des retombées des plus appréciables, même si ça me fait mal d'en convenir). Bref. Je sentis bien que le monsieur très énervé n'était pas dans la posture de vouloir écouter quoi que ce fut d'autre que sa diatribe, ou de glaner des explications rationnelles sur ce klaxonnement des plus inopportuns à la tranquillité routière. Du tout. Terminant par un "ta gueule" lancé gentiment à mon pare-choc alors que j'essayais de lui faire entendre, non pas raison, mais que ses arguments étaient bien étonnants, il remonta dans sa voiture et, claquant de la portière, partit avec le lot de circulation urbaine qui reprenait vie, le feu enfin passé au vert.
Ouch ! Je me sentis alors bien appauvrie en capacité de compassion et mon sang bouillait autant que mes jambes flageolaient, partagée entre le soulagement et l'envie de tuer un cerbère à mains nues. "Pourquoi me suis-je énervée ? Pourquoi a-t-il répondu ? A quelle heure on mange ? Mais pourquoi tant de haine ?" me lançai-je intérieurement. Je me calmai petit à petit et passai ensuite à autre chose, non sans que quelques petites réminiscences vinssent me torturer dans la journée...

Et ce soir, voilà que je tombe sur une publication Facebook montrant la photo d'un homme posant, fusil à l'épaule, sur le cadavre de l'ours blanc qu'il vient de dégommer sur la banquise.
A croire que notre cerveau reptilien soit directement atteint lorsqu'il se sent confiné, soit dans une boîte qui roule, soit devant un écran qui abrutit, parce que, de nouveau, mon sang n'a fait qu'un tour et comme je n'avais pas de klaxon sous la main, le chasseur s'est vu affublé de tout mon mépris et de tous les noms d'oiseaux méridionaux qui me sont venus à l'esprit. Mon premier instinct m'a fait réagir au post par un "GRRRRRRR" puis je me suis mise à lire en grommelant les commentaires nombreux qui venaient en dessous de cette photo immonde. Et je me suis arrêtée : la quasi-totalité des commentaires que je lisais étaient des messages de haine envers cet homme. On le comprendra, évidemment, l'acte étant tout à fait condamnable, toussa blablabla. Certes.
Et là, rebelote : "A quelle heure on mange ? Mais pourquoi tant de haine ?"
Et ma question ne visait pas cette étrange idée que celle de tirer sur une créature en voie de disparition mais tout ce que cela déchaînait. Ne condamnerait-on pas aussi la personne qui a posté cette photo, induisant par là une vague violente d'énergie négative venant de tous ces internautes choqués dans leurs valeurs ? Ne condamnerait-on pas, encore, l'internaute lambda pour laisser parler sa colère, critiquer le système, jeter la faute à Pierre et fustiger Paul, et ce, tranquillement à partir de son canapé, pianotant sur sa tablette tout en regardant un programme télévisé quelconque ? A voir...

Avant, le monde se refaisait dans les PMU, les cafés d'habitués, les salons de commères...
Maintenant, le monde se refait sur la toile, par toutes ces personnes qui "pensent donc qui sont", et qui retournent ensuite vaquer à leurs occupations, oubliant bien vite le sujet qui les a enflammés le temps de quelques minutes fébriles. A part quelques exceptions, la personne-qui-pense-donc-qui-est réagit de manière violente à la violence, s'énerve, s'insurge, vocifère lorsqu'on lui jette négligemment mais bien consciemment un os à ronger. Cela change-t-il le sort du plantigrade étalé ? Là tout de suite, non, il reste bien raide sur sa banquise ou ailleurs. Cela changera-t-il le sort de ses congénères demain ? A priori, si tout se cantonne encore au canapé, non plus. Cela change-t-il l'énergie de l'humanité, la tirant vers le haut ? Là non plus. Cela au contraire la charge davantage d'ondes négatives, de haine et de coups d'épée dans l'eau.
Alors "à quoi bon" si les actes, les habitudes restent inchangés ?
Le monde se refait de partout, mais pas là où il a besoin d'être refait, et surtout, pas dans l'énergie qui l'aiderait.

Avec tout ça, je te vois d'ici me considérer comme une hippie utopiste un peu déjantée qui rêve aux Bisounours en fumant un joint gros comme un Cornetto de Miko, et si ça te rassure, n'hésite surtout pas à grossir encore le trait.
Cela dit, je reste persuadée qu'entretenir des idées et des élans négatifs n'aidera pas notre monde à tourner plus rond. Je suis convaincue que, sans se mettre des oeillères à ce qui se passe sur la planète, alimenter le système en réagissant de manière positive à des événements tels qu'on peut en vivre un peu tous les jours (actions CONCRETES venant limiter leurs effets négatifs), en arrêtant de colporter le "mauvais" pour au contraire partager le "bon" et faire connaître tout le "beau" fera grandir notre espèce.

Alors en tirant une dernière taffe sur mon Cornetto, même si je suis consciente que Rome ne s'est pas faite en un jour et que j'échouerai parfois, je prends solennellement devant toi la décision qu'à partir de maintenant, j'arrête le pas cool et j'ouvre les vannes à donf au flot d'amour.
Et qui m'aime me suive (mais pas en voiture)...