jeudi 2 avril 2015

Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants...




Ça commence toujours par : "Il était une fois..." avec dedans, l'histoire d'une princesse qui attendait son prince charmant (rarement l'inverse).
Et l'histoire veut qu'après plein de trucs bizarres mais assez communs, somme toute (transformation en souche dormeuse enfermée dans un donjon, coma profond engendré par une pomme ou encore séquestration dans une haute tour pour utiliser ta tignasse à des fins de cure de jouvence), eh bien la princesse trouve chaussure à son pied (ça c'est pour Cendrillon), mais surtout l'homme de ses rêves, celui qui viendra la sauver et signer par là la garantie d'un avenir merveilleux en sa compagnie.
Le prince, quant à lui, est toujours éperdu d'amour au premier regard, fou de douleur quand il pense avoir perdu sa dulcinée, et prêt à braver tous les dangers, même les dragons et les sorcières, pour sauver la femme de sa vie. Et il le fait, le bougre !
Et quand ils s'embrassent, l'histoire se finit par "ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants".

Pour la suite, je soupçonne Grimm et Perrault, les deux principaux fauteurs de troubles, d'avoir laissé planer le doute pour la survie de l'humanité. Parce que s'ils avaient dit la vérité, pas dit que les petites filles auraient eu un jour envie de se marier et que les garçons aient osé s'en approcher... L'espèce humaine se serait alors éteinte petit à petit et je ne serais même pas là à t'écrire des trucs sur le sujet.
Donc, on peut leur dire merci. Mais seulement pour ça ! Parce que pour le grand bazar qu'ils ont généré en parallèle, on peut pas dire qu'on leur soit reconnaissant.

Déjà, le "ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants" est non seulement un leurre, mais aussi un non sens : comment peux-tu vivre heureux si t'as beaucoup d'enfants ? Eux, peut-être, parce qu'ils avaient une gouvernante et 4 valets par môme, tout ça dans un 1500m² et qu'ils n'avaient pas en plus à gérer le ménage, la bouffe, les devoirs et tutti quanti...
Mais nous ? Nous, pauvres roturiers qui allons à la mine pour nourrir notre progéniture et vivons dans un 60m² en début de couple (quand tout va bien), quand nous en avons un, d'enfant, UN SEUL, le couple frise la rupture 30 fois la première année de sa vie à cause du manque de sommeil, alors "beaucoup d'enfants" ?!
Ils sont venus dans mon salon, les écrivains, quand mes 2 (2 !!) enfants ont décidé de refaire la déco et y ont planté 3 tentes indiennes, des tambours de guerre et ont placé des playmobils et des légos en embuscade sous les tapis pour nous tenir éloignés à coups de voûte plantaire meurtries ? Non !
Donc, 1ère erreur : avoir mis tous les couples dans le même panier, royaux et roturiers ensemble, et toutes les époques à la même enseigne, moyen-âge et 21è siècle.

Ensuite, nos chers conteurs ont un peu mélangé les choses concernant le prince et la princesse.
La vraie histoire dans l'ordre, c'est la suivante :
Il était une fois, un prince et une princesse qui se rencontrèrent dans un pub, se plurent et papotèrent tant et tant qu'ils se sentirent bien vite épris l'un de l'autre. Ils se revirent plusieurs fois jusqu'à passer la seconde et, n'y tenant plus, s'embrassèrent goulûment mais sûrement, déclarant officiellement ouverte la passion qui allait les enflammer quelques temps.
Oui : quelques temps. Parce que la période idyllique qui s'écoule les premiers temps du couple est LA période enchantée, la période de nos rêves. De nos REVES ! Eh oui. Une période comme nous l'idéalisons et comme nous idéalisons l'autre.
Nous avons vu quoi, exactement, chez l'autre ? Qu'est-ce qui nous a fait nous en approcher, le/la renifler discrètement, lui donner une place toute chaude toute moelleuse dans notre cœur ? Bien souvent, ce sont nos envies, nos attentes, et... nos idéaux. Et alors que nous aimons chez l'autre des qualités qui nous font souvent défaut, nous allons petit à petit découvrir également ses défauts qui sont parfois aussi les nôtres. Au début, encore éblouis par tant de passion, les tourtereaux se convaincront que ce n'est pas très grave, que ces "petits" couacs ne sont que des broutilles, que cela changera certainement avec le temps. Et puis, les petits couacs deviendront plus grands, plus gênants... Et puis, les couacs deviendront si fréquents à mesure que la passion décroîtra, que les amoureux se diront qu'il y a eu tromperie sur la marchandise, que quand même, ce n'était pas à ça qu'ils s'attendaient.
Mais pourquoi diable cette période de grâce ne s'éternise-t-elle pas ? Pourquoi la vie de couple n'est-elle pas une douce continuité de son début si beau et enchanté ?
Eh bien parce que nous n'avons pas les super-pouvoirs de nous travestir très longtemps en "femme parfaite" ou en "prince charmant" et de répondre instinctivement à l'idéal de l'autre.
Nous "redevenons" donc nous-mêmes, et, investis de notre nouvelle apparence aux yeux de l'autre, nous lui devenons parfois un peu différent. Attention, il n'est pas ici question d'avoir trompé le chaland sur la marchandise, non non. Il est question d'avoir montré principalement ses bons côté à l'autre qui est bien content de se focaliser dessus pour ne pas voir le reste. Le jeu est là, et tout le monde y participe, content de garder ses œillères tant il a besoin de vivre cette période enchanteresse car tout le monde en a besoin.

Cela veut-il dire que la suite n'est que chaos et désolation ? Oui, complètement... (mais nooooooooon, j'déconne !! Ne vas pas tresser ta corde, revieeeeeeeeeens !!)

NON ET BIEN SUR QUE NON !! La suite, quand on décide de la connaître, est une autre partie de la vie de couple, celle de l'acceptation de l'autre, celle qui donnera naissance à l'Amour.
Mais qu'est-ce que l'Amour dans le couple, alors, si ce n'est pas la passion, l'idylle merveilleuse ?
Au risque de te donner un lieu commun, mon idée à moi, c'est que l'Amour, c'est accepter l'autre tel qu'il est et ne plus rien attendre de lui. Cela peut prendre 2 ans, 10 ans ou 50. C'est savoir que l'autre et soi ne sommes pas ensemble par hasard, que nous l'avons choisi à dessein, très inconsciemment évidemment.
C'est accepter que la vie nous a mis face à face pour grandir ensemble, pour nous apporter, par nos différence parfois immenses, cette complémentarité nécessaire à notre élévation. Tout cela se passe-t-il dans la douceur tout en coulant sur un long fleuve tranquille ? Eh bien cela dépend des couples et des caractères. Cela dit, les heurts, les vagues, les murs sont souvent présents et j'irai même jusqu'à dire qu'ils sont nécessaires, car la difficulté apporte son lot de questionnement et de remise en cause, de changement, et par là, aident à l'élévation de son être, grâce à et avec l'autre.

Alors Grimm et Perrault, dans tout ça ?
Ben je suis persuadée qu'ils ont vu tout bien juste, mais d'une manière que nous avons, depuis des siècles, du mal à décrypter, attirés comme nous le sommes par la facilité et les baguettes magiques... Le combat des sorcières, des dragons, l'attente de retrouver sa princesse ou son prince sont un préambule, certes, mais pas celui de la relation tel que nous le croyons. Quand le prince combat une sorcière ou un dragon, c'est peut-être l'image de lui ou la peur de l'autre, qu'il affronte ; et lorsque la princesse a en face d'elle une grenouille alors qu'elle venait d'embrasser un prince, c'est face à ses propres leurres qu'elle se retrouve. Et tout ça se passe PENDANT la relation, justement cette période d'apprentissage de l'autre, cette période floue et parfois périlleuse vécue entre les protagonistes de l'histoire. C'est la phase obligée pour atteindre l'autre dans son intégrité, et l'accueillir dans sa différence et sa complémentarité. C'est donc un préambule à l'acceptation complète de l'autre. 

Le "ils vécurent heureux" arrive donc non pas après ce premier baiser, mais après la passion passée, quand l'Amour vient s'installer. Et ce, quelque soit le nombre d'enfants, finalement...



2 commentaires:

  1. Encore une belle leçon Abra. C'est vraiment un plaisir de te lire.
    C'est comme si on y était et après on est obligé de réfléchir sur soi et tout et tout... pfffff. En veille de WE, me donner tout ce boulot... c'est la seule chose que je te reprocherai... ;-)
    J'avoue que je ne voyais pas bien où tu voulais en venir au départ...
    Evidemment je verrai ces 2 conteurs sous un autre angle maintenant... ;-)
    jno

    RépondreSupprimer
  2. C'est si bien dit ! Tout à fait d'accord !

    RépondreSupprimer